On le savait très bien, qu’il y avait ce putain d’ailleurs qui nous tendait les bras, ces promesses sensuelles, comme des gémissements en permanence. Ca s’engouffrait dans nos cheveux, entre les mains mêlées, mais tant que tes doigts serraient les miens, ils pouvaient bien me hanter, je ne les entendais pas. Je n’ai jamais vacillé, et j’avais pris plaisir à croire que tu ne chuterais pas non plus. C’était plaisant, de nous imaginer plus forts que tout, plus forts même qu’un monde qui n’a jamais cessé de tourner au rythme des uns et des autres. Quelque chose attendait, tapi dans l’ombre, qu’on rentre à nouveau dans le mouvement, qu’on se délaisse. Je ne pensais pas que ça arriverait. On peut ajouter le mot fin à l’histoire, maintenant, et j’espère qu’il t’a plu de la vivre. Je n’ai jamais eu autant l’impression d’être une héroïne de roman qu’entre tes bras, et cela restera sans doute pour longtemps mon livre préféré. Garder sur la table de chevet les souvenirs et la magie, en laissant ce qu’il y a de mauvais s’exorciser dans des cauchemars sans intérêt. Je te remercierai sans doute bientôt pour la beauté et les instants uniques que je n’aurais pu vivre autrement. Pour les émotions rares et bordel, surtout pour tout cet amour, fut-il si bref. Je déposerai des excuses sous le paillasson, pour les fautes, les ratés, les absences. Et puis, quelques sourires après, chacun reprendra sa route. Je continuerais à te parler un peu dans ma tête, je me tordrais de jalousie en voyant des bras pendus à ton cou, et puis le temps effacera tout. Comme toujours. Et on se recroisera peut être, au détour d’une rue, au creux d’un manque, mais rien de tout ça n’aura plus d’importance.
J’ai voulu aller trop vite. Me relever fièrement et dire que je n’ai pas mal, que je peux très bien y arriver toute seule. Ca n’est pas si simple de se mentir à soi même, on n’efface pas les choses d’un claquement de doigts. Je me retrouve dans le même état que dimanche, à la différence qu’au bureau, je dois refouler les sanglots et les larmes. J’ai comme un bleu dans la gorge depuis ce matin, je ne sais pas trop d’où il vient.
Evidemment, c’est le moment où l’IT débarque, que M. est impossible et qu’il hurle sans cesse. La tension est de plus en plus prégnante au bureau, et pour aller d’une pièce à l’autre, on a l’impression de devoir traverser d’épaisses mailles d’angoisses. Je ne suis plus bien chez moi non plus, il y a encore son odeur sur quelques objets, des souvenirs, et pas vraiment d’épaule sur laquelle s’épancher. J’ai l’impression de ne réussir à trouver de paix nulle part, et je vais tenter d’en trouver en arpentant les rues de Paris, pace que le bitume a souvent eu un effet salvateur.
J’ai de la volonté, mais je me rends compte que je n’ai jamais su faire les choses pour moi même, toujours pour l’autre, parce que c’était une bien meilleure raison. Il semblerait que je doive apprendre, mais je n’en ai pas envie. Ca ne me semble pas utile.
Je me sens trahie, blessée, et inutile.
Et cette impression de chuter, toujours, qui avait fermé sa gueule ces derniers temps, et qui au bout du compte ne cesse de s’amplifier. J’imagine que l’impact n’est plus très loin, à ce rythme là. J’aimerais faire un bond dans le temps, en avant ou en arrière, mais ne surtout plus être dans cette situation là, paumée entre l’avant et l’après, à vouloir encore y croire, mais que tous les signes prouvent le contraire, avec le cœur qui s’étrangle chaque fois un peu plus.
Je devrais effacer complètement certaines choses, mais je n’y arrive pas. J’ai encore un texto qui date d’il y a pile un an, rempli d’amour et d’espoir, la veille de l’annonce de mon arrivée à Paris. Et je me dis que tout ça n’est pas si loin, et qu’il ne faudrait pas grand chose pour y revenir. Mais être la seule à y croire n’avance à rien.
La discussion d'hier avec ma mère m'a pas mal ouvert les yeux. J'ai aimé qu'elle ne me tienne pas ces propos que les gens ont toujours dans ces cas là, ces putains de clichés qui me donnent envie de leur arracher les yeux. Elle a raison, ça ne sert à rien de vouloir se terrer au fond d'un trou. Ca ne changera rien, ça ne fera pas passer la boule pleine de vide. Ca ne le ramènera pas, surtout. Je voudrais retrouver celle que j'étais avant, ou quelque chose comme ça. Une version améliorée, en quelques sortes. Ca ne pourra que me faire aller de l'avant, et qui vivra verra. L'essentiel, c'est de garder la tête haute et de rester digne. Je me coupe de parano, quelques temps. J'ai demandé à F. de changer mon mot de passe, et de ne pas me le donner pendant au moins deux semaines. Peut être plus, selon mon avancée. Il faut que je retrouve un vrai contact avec les gens, et que je cesse de m'abrutir d'écrans et de clavier, ça ne m'apporte plus rien. Faire le tri dans les gens, et il est facile de voir qui est là, finalement, et qui ne l'est pas. C'est quelques fois inattendu. Réecrire ce putain de chef d'œuvre que j'ai au bout de doigts depuis tant de temps et qui est resté suspendu à mon envie, agrippé à ma peur et à ma fénéantise. J'en ai les moyens, un peu, il parait.
Faut que je redevienne vivante, en fin de compte, et pas ce petit zombie qui ne cesse de mollir au fil du temps. J'vais réapprendre à bouffer de la vie.
Je ne voulais plus écrire ici, mais tant que je n'aurais pas retrouvé mon si précieux cahier, j'ai l'impression de ne pas pouvoir faire autrement. Oh, je pourrais recommencer un autre cahier, symboliquement. Je devrais même. Mais je ne peux pas, par superstition sûrement. Il faut croire qu'il ne reviendra pas, cette fois ci. Pourtant, je n'arrive pas à m'enlever de la tête toutes ces images de retrouvailles lumineuses, tout ces possibles, ces incertains. Ca me perce les entrailles, ces plans délirants que j'échafaude minutieusement pour le retrouver, dont je sais qu'ils seraient vains, et pathétiques. Je suis terrorisée, ça me cloue aux draps. Ca me demande beaucoup de forces de ne pas céder à la ridicule tentation du verre et du bitume. Tout ça ne me ressemble tellement pas. Et je me demande depuis combien de temps je ne me ressemble plus. Ca fait bien longtemps, je crois, que je ne suis plus la fille qu'il attendait à Montparnasse. Il y a eu tellement de méprises, de malentendus, et maintenant il n'y a plus que des regrets. Moi qui pensais sortir enfin de l'apnée, je me sens à présent noyée et j'ai les poumons remplis de ces putains de larmes que je n'ai jamais voulu. Il faut espérer que cela fonctionnera, au moins pour lui, parce que je lui dois bien ça, ne pas lui en vouloir de pouvoir être heureux sans moi.
Il y a la nausée permanente et le gouffre dans lequel on ne peut pas s'empêche de tomber. Il y a la peur, incontrôlable, de ne pas savoir survivre sans l'autre. Et puis tous les souvenirs qui se pointent dans la tête, avec leur lot de questions et de regrets. Il n'y a d'abord que les images amères, pour ne pas se faire mal, mais les plus jolies viennent par la suite, culpabilisatrices, comme pour dire qu'on a été bien con de ne pas encore une fois faire tout pour préserver ça. Et l'envie obsédante de se rouler en boule, dans un coin de rue, et de ne plus rien attendre.
Je me demande très sérieusement si on peut faire de mini infarctus. J'ai de plus en plus souvent l'impression d'avoir des petits vaisseaux qui explosent dans mon cerveau, avec un peu de vertiges après. Des micro bombes nucléaires. Encore rien de bien inquiétant, mais je commence quand même à m'interroger. Il faudrait que je pose la question à mon médecin. Mais pour ça il faudrait que j'arrête de le fuir sans raison, et que je lui demande aussi le renouvellement de mes diverses ordonnances.
Quand même, je me demande si je ne deviens pas hypocondriaque, à force.
Plus que deux petites semaines d'absence et de frustration. Mon Dieu comme j'ai hâte!
J'ai enfin l'impression d'être à nouveau vivante et de ne plus marcher au radar. Je prends plaisir à faire les choses, à prendre des décisions et j'ai même trouvé la force d'écrire des lettres de motivations et de les envoyer. Je me surprends même à espérer, et à dire aux autres "Je ne serais plus là quand ça arrivera, donc je n'ai pas peur.". Je n'ai plus l'impression d'avoir à faire semblant de sourire, de converser. Je me retrouve un peu, et j'espère que c'est pour longtemps. Tout parait plus facile, et ce qui est évident me revient en plein coeur. Avoir ma tête sur ton torse, te regarder, coller ta peau contre la mienne en priant pour que ça ne s'arrête jamais. C'est toujours magique et ça me nettoie la tête des derniers mois de crasse et de purée de poix trop épaisse pour marcher autrement qu'à tâtons. Bientôt, bientôt, des vacances juste pour nous deux, ça fait si longtemps que ça n'est pas arrivé, et j'imagine déjà des ballades dans le vent de Paris, des matinées sous la couette et des petits dèj au lit. J'ai hâte, j'ai hâte.
J’ai encore laissé la vie me couler entre les doigts, et cette fois ci, je n’ai même pas fais mine de tordre mes poignets pour en retenir quelques gouttes. Je suis restée stoïque, lovée contre une bouée percée, à attendre de me noyer, puisque battre des jambes me demandait un effort pour lequel je n’avais plus les muscles. Je mets mes phrases en passé, parce que j’ai pas envie d’avoir encore cette impression, et je veux me persuader que tout n’est pas figé, que j’ai encore un peu la tête hors de l’eau et que je respire presque normalement. Je sais bien que ce sont des pavés de mensonges que je m’écrase entre les côtes, mais j’ai besoin d’y croire pour ne pas que tout s’effondre. Demain est un autre jour sur lequel j’ai un pouvoir. Pas de baguette magique, mais avec de la volonté, on peut arriver à tout ou presque, et je voudrais te séduire à nouveau, et parler en riant, en caressant tes cheveux sur mon ventre, avoir des élans de tendresse, et surtout, surtout, voir autre chose dans tes yeux que ma culpabilité. Je ne me reconnais pas, et c’est sans doute ce qui m’effraie le plus. Même les années précédente, dans mes grands passages à vide, je savais transformer mes douleurs en rage. Là, il n’y a que de l’inertie en moi, avec quelques pointes seulement d’une euphorie démesurée, quelques minutes dans la semaine. J’ai la sensation de composer avec une autre âme dans le même corps.
Je nage toujours dans un brouillard dense dans lequel je ne distingue plus grand chose. Je suis incapable de me projeter en ce moment, c'est effroyable, et c'est sûrement ça qu'on appelle naviguer à vue. Je ne comprends plus grand chose, mais j'apprends à faire confiance, et à suivre les conseils qu'on me donne, parce que finalement, il y a des gens qui me veulent du bien et qui ont l'air de savoir mieux que moi où je mets les pieds. C'est l'impression de chute constante, qui me fait le plus peur. C'est le vertige qui ne me quitte plus depuis plus d'une semaine, avec des corniches contre lesquelles je butte et qui me laissent chaos plusieurs jours, chaque fois. Je ne comprends pas, j'essaie, mais le flot de mes pensées est complètement étriqué. Ca renforce la question, est ce que le sol est encore loin? Je ne veux pas. Je panique à l'idée de l'atterrissage, depuis le temps que je tombe, je doute qu'il y ait une couche de ouate suffisante pour ne pas m'y faire trop mal. Je suffoque. Je tente de me raccrocher tant bien que mal aux peu de choses en lesquelles je crois encore, mais je le fais mal, mes doigts glissent régulièrement, quand je ne mords pas la main qu'on me tend. Ca sent l'orage, mais on me dit de ne pas gratter l'allumette, alors je fais comme si c'était plein ciel et soleil aveuglant, mais j'ai du mal à jouer la comédie. Je voudrais que ça craque, mais que la foudre soit douce, mais les choses ne fonctionnent pas comme ça. On ne récolte pas de tendresse après avoir mordu, davantage encore si on ne sait pas pourquoi on l'a fait. Mon corps ne répond plus, ma tête ne répond plus, et il n'y a que la putain de boule dans le ventre qui réagit, alors qu'elle n'a pas le moindre talent de bonheur.
Tout à l'heure, après avoir raccroché d'un coup de fil un peu particulier,
je me suis dit que c'était quand même dommage de pas avoir une rubrique pour
les anecdotes funkies de mon boulot.
Parce que mine de rien, on s'en rend pas compte, mais assistante sociale, c'est
un métier où on se marre beaucoup. (gentiment, hein, on se moque pas.)
Je regrettais de n'avoir jamais posté d'article sur ce jeune qui m'a un jour
sorti de son sac une boîte contenant les tiques que le médecin venait de lui
arracher, ou encore sur ce monsieur qui s'est mis brusquement à me parler de
circoncision, sans raison, en me demandant si moi aussi, mes parents avaient
voulu me faire circoncire de force (Je suis une fille, mais visiblement, ça ne
change rien pour lui).
Alors toc. Une rubrique. Pour des choses un peu gaie, et un peu drôle.
Aujourd'hui, nous traiterons donc de M. X, colombien de nationalité, et qui m'a
demandé un café, "parce que c'est meilleur que la cocaïne", en me
promettant de me rembourser ce café en faisant venir du café de Colombie dès
qu'il pourrait.
M. X a fort envie de me revoir, il faut le savoir. Pas pour l'aide que je peux
lui apporter, mais pour mes "petites lunettes" et pour mon parfum de
sa Colombie natale, bien que "je sentais la Colombie mélangée, et pas la
Colombie pure", comme chez lui. (Est-on vraiment sûr qu'il parlait encore
de Colombie?)